Des soignants suspendus convoqués par la police ou la gendarmerie

L’information circule depuis plusieurs semaines, à bas bruit et de manière vague. Nous en avons eu la confirmation par un avocat, dont deux clientes soignantes suspendues ont été convoquées par la police ou la gendarmerie. L’une d’elles a accepté de témoigner.

L’information a commencé à circuler le 10 novembre dernier, avec un article publié sur le site du Courrier des Stratèges, intitulé « Alerte : des soignants suspendus, discrètement convoqués par la police ». « Selon nos informations, écrit l’auteur, un peu partout en France, la police convoque, de façon perlée, des soignants suspendus pour les interroger et récolter du renseignement sur leur situation et sur leur position en matière de vaccin et de vaccination ». « Pour l’instant, les conditions dans lesquelles cette campagne se déroule sont encore obscures », souligne-t-il plus loin. Puis, il précise qu’« un cas de convocation a été signalé à Angoulême, trois autres aux Mans, et plusieurs autres cas de convocation sur le reste du territoire sont en cours de vérification ».
Tout cela restait pour le moins vague et les différentes associations de soignants suspendus contactées par nos soins ne pouvaient nous en dire plus. Au mieux, elles en avaient eu des échos, mais ne connaissaient personne de directement concerné.

L’affaire se confirme

Une semaine plus tard, Me David Guyon relance l’affaire en publiant une courte vidéo sur sa chaîne YouTube. L’avocat montpelliérain, connu pour son combat pour la défense des libertés fondamentales, y indique que deux de ses clientes ont été convoquées par les forces de l’ordre. Nous le contactons.
« Au début, sincèrement, je n’y ai pas cru non plus et suis resté très sceptique par rapport à cette information », nous confie Me Guyon. Mais forcément, quand on assiste plus de 250 soignants suspendus répartis sur toute la France, si l’information est vraie, on finit par en avoir la preuve. « Deux de mes clientes ont en effet été convoquées par la gendarmerie ces dernières semaines, l’une dans la région lyonnaise et l’autre dans la région rennaise ». Et ces convocations avaient bel et bien un rapport avec leur statut de soignantes suspendues.

Soupçon de travail dissimulé

Dans les faits, il s’agit d’auditions libres, donc sans obligation d’avocat. « J’ai reçu une convocation dans ma boîte aux lettres me demandant de prendre contact avec la gendarmerie de mon secteur », nous raconte l’une des deux soignantes en question, qui a accepté de témoigner sous couvert d’anonymat. Aucun motif d’indiqué sur le courrier, elle appelle donc la gendarmerie. « Au téléphone, le gendarme me parle d’abord de mon schéma vaccinal, mais je l’ai tout de suite arrêté, lui demandant ce que cela signifiait. Il me dit ensuite que je suis soupçonnée de travail dissimulé. Comme je n’ai exercé aucun travail depuis ma suspension le 15 septembre 2021, je décide d’aller à la gendarmerie le jour même pour régler l’affaire au plus vite. Je lui demande si je dois venir avec un avocat. Il me répond que si je n’ai rien à me reprocher, c’est inutile et que ça ne devrait pas être long. J’y vais donc en pensant que cela va durer un quart d’heure ». L’audition durera en fait 1 h 30, sans témoin.

Déstabilisation et sentiment de culpabilité

A peine l’interrogatoire commencé, notre soignante se sent vite déstabilisée : « Il me dit que je suis mise en cause pour un délit de travail dissimulé et qu’à la fin de l’audition, il prendra ma photo et mes empreintes digitales. Comme si j’étais une criminelle ou une délinquante ! Dès lors, je comprends que je ne suis pas seulement soupçonnée, mais considérée comme coupable. Puis, il me pose des questions sur mes parents, leurs identités, leur adresse… Je suis troublée, je ne comprends pas où il veut en venir. À plusieurs reprises, je lui dis que je suis stupéfaite d’être là, que je n’ai rien à me reprocher et ai strictement respecté l’interdiction de travailler. Mais il me laisse entendre qu’il a peut-être des éléments à charge, sans que je sache lesquels. Ça dure comme ça un petit moment, puis je reconnais l’écriture de mon mari sur l’un des documents qu’il a dans son dossier. Ce sont des talons de dépôts de chèques. Il y a aussi des photocopies de chèques. Devant ma surprise, il me précise que c’est la magistrate qui a fait « perquisitionner » notre compte bancaire. Je suis de plus en plus déstabilisée… Il cite plusieurs sommes versées sur notre compte, toutes provenant de membres de notre famille, soit pour nous aider financièrement, soit pour différentes occasions comme les anniversaires ».

Les proches aussi mis en cause

Pour elle, l’affaire est simple à expliquer : étant suspendue sans rémunération, sa famille l’aide tout naturellement à subvenir à ses besoins essentiels. Mais elle ne s’attendait pas à la suite, car le gendarme lui fait alors comprendre que les membres de sa famille pourraient tout aussi bien l’aider à blanchir du travail dissimulé. « Là, j’ai vraiment eu le sentiment d’un acharnement contre moi. C’était une hypothèse purement gratuite, sans fondement, c’était irréel. Et comme j’étais de bonne foi, j’essayais de me défendre, de me justifier, mais il prenait des notes et essayait de me piéger en me demandant à quoi avaient servi ces chèques… J’ai eu encore une fois un sentiment d’injustice et de maltraitance. Mes proches étant soupçonnés, j’avais aussi le sentiment qu’on salissait ma vie privée, c’était très humiliant ».
Dernière humiliation avant de partir : la prise de photo et les empreintes digitales. Puis notre soignante sort enfin de son audition, très décontenancée, sans procès-verbal, mais avec l’avis du gendarme : selon lui, il n’y aura pas de suites étant donné que… le dossier est vide !

« Comme si être suspendus sans revenus ne suffisait pas »

Près d’un mois plus tard, cette salariée de la fonction publique hospitalière, qui dit avoir toujours été consciencieuse et dévouée dans son travail, est encore sous le choc. « Je l’ai vraiment vécu comme une procédure d’intimidation. Comme si être suspendus sans revenus ne suffisait pas, avec la désactivation sociale et la misère financière que cela implique, il faut encore qu’on nous persécute et qu’on se sente coupable, alors que ce sont nous qui sommes les victimes d’un système qui attaque les droits fondamentaux : droit de travailler, droit de subsistance, liberté d’opinion… ». Elle se souvient aussi que le gendarme lui a posé des questions étranges : « Il m’a demandé si j’avais un port d’arme ou un permis de port d’arme. Ou si j’avais des tatouages… ».
Depuis, elle a appris que d’autres soignants de sa région étaient aussi convoqués par la gendarmerie, dont une de ses amies. Son conseil est de ne pas y aller seul : « Ce n’est pas quelque chose de banal, c’est très éprouvant. Si on peut se le permettre financièrement, il vaut mieux y aller avec un avocat. Sinon, il faut au moins demander de l’aide pour s’y préparer psychologiquement et bien connaître ses droits ».

Une pression politique ?

Me Guyon confirme que dès que quelque chose vous est reproché, même lors d’une « simple » audition libre, vous avez le droit à la présence d’un avocat. Cette assistance juridique devient indispensable si vous êtes en faute et n’avez pas respecté, en tant qu’agent de la fonction publique, votre obligation d’exclusivité vis-à-vis de votre employeur. Pour ceux qui n’ont rien à se reprocher, l’avocat pense que ces convocations un peu sauvages n’auront pas de suites judiciaires. Pour lui, « il s’agit surtout d’exercices d’intimidation ». L’objectif étant de « mettre la pression à des personnes à qui l’on reproche avant tout leur opposition politique ».

Si vous êtes convoqué(e) par la police ou la gendarmerie et souhaitez bénéficier d’une aide juridique, n’hésitez pas à contacter une association de soignants suspendus proche de chez vous ou le Syndicat Liberté Santé, qui pourra vous mettre en relation avec un avocat.

Soignants suspendus convoqués par la gendarmerie (DR)
Soignants suspendus convoqués par la gendarmerie (DR)